"GRAVITY SESSION" Par Rosetta West
- Ryann
- il y a 5 jours
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Peu de groupes peuvent se targuer de posséder le mystère et la longévité que Rosetta West a cultivés au fil des années. Né dans l’underground du Midwest des années 1990, ce trio originaire de l’Illinois est resté farouchement indépendant, créant un son unique qui mêle blues rock, textures psychédéliques, influences folk du monde et une poésie spirituelle intensément personnelle. Leur dernière sortie, "Gravity Sessions," n’est pas un simple nouvel album : c’est une distillation brute et viscérale de leur ADN musical. Capté en quelques jours intenses dans les légendaires Gravity Studios de Chicago, avec le célèbre ingénieur Doug McBride à la console, cet album propose aux fans une relecture en direct de morceaux familiers, tout en ouvrant une porte d’entrée saisissante aux nouveaux auditeurs.
Dès les premières notes de « Suzie », l’intention du groupe est claire : il ne s’agit pas d’une production lisse taillée pour les ondes, mais d’une offrande sonore pleine de rugosité, de souffle, de sang et d’âme. « Suzie » livre immédiatement un groove lourd et imprégné de blues, qui semble intime, presque domestique — comme si le groupe jouait juste devant vous, dans une pièce faiblement éclairée. Le son de guitare de Joseph Demagore est chaud, légèrement éraillé, profondément organique. Sa voix, marquée par le vécu, navigue entre vulnérabilité murmurée et cris passionnés. À la basse, Herf Guderian ancre le morceau avec une solidité terrienne, tandis que Mike Weaver, batteur de longue date, lie le tout avec sobriété et swing.
L’enregistrement en conditions semi-live donne une intensité palpable à des titres comme « Broken Glass (Gravity) » et « Save Me (Gravity) ». Le premier, tranchant et émotionnellement à vif, est sans doute l’un des sommets de l’album. Il s’ouvre sur une ligne de guitare acérée avant de plonger dans une complainte en tonalité mineure, à la fois gothique et intimiste. Le mix live capte chaque crissement, chaque frottement des cordes, chaque respiration — renforçant l’impression d’intimité. « Save Me », en revanche, se penche davantage sur la quête spirituelle caractéristique de Rosetta West. La voix de Demagore monte graduellement, d’un murmure introspectif à une supplique déchirante. Ce n’est plus seulement un appel adressé à quelqu’un, mais une invocation aux forces cosmiques, un cri lancé vers l’au-delà.
Une surprise de taille vient avec « Venons Blue (Gravity) », un morceau psychédélique envoûtant qui pousse plus loin encore les sensibilités expérimentales du groupe. Le rythme y est lent, hypnotique, presque aquatique, avec des guitares chargées de reverb et une atmosphère cinématographique. La ligne de basse de Guderian pulse doucement sous la surface comme un sonar, enveloppant l’auditeur dans une rêverie sensorielle. Ce genre de titre montre que Rosetta West dépasse largement les frontières du blues rock : ils ne se contentent pas d’évoquer des genres, ils construisent des mondes sonores comme des chamans de studio. Là où tant d’autres se perdent dans les clichés, Rosetta West ouvre une brèche vers l’inconnu, « Dora Lee (Gravity) », single principal de l’album, est accompagné d’un clip intrigant sur YouTube. Structuré avec soin, le morceau s’ouvre sur un riff dépouillé qui monte progressivement en tension. Dans cette version live, il perd son vernis d’antan pour révéler une interprétation plus brute, plus directe. Les craquements et failles de la voix de Demagore ne sont pas dissimulés, mais mis en valeur. Le résultat est profondément touchant — un morceau hanté, traversé par le deuil, la mémoire, les relations inachevées qui continuent de résonner longtemps après. C’est d’ailleurs ce sentiment de quête existentielle qui traverse tout l’album : un dialogue avec des fantômes, des dieux, ou peut-être avec des fragments de soi-même.
« Deeper Than Magic (Gravity) » est un autre moment fort, véritable manifeste de Rosetta West. Les paroles, énigmatiques, abordent des thèmes d’alchimie, de désir, de transcendance. L’interaction entre guitare et section rythmique y est hypnotique, presque rituelle. Ce morceau pourrait très bien figurer dans un western psychédélique ou un film de Jodorowsky — à mi-chemin entre la prière rock et le sortilège folk. L’album tout entier oscille entre dualités : ancré dans le monde réel et tactile du live, mais orienté vers l’immatériel, le spirituel. Cette tension est au cœur de la magie de Rosetta West. C’est ce qui empêche "Gravity Sessions" d’être un simple enregistrement live : c’est une expérience.
Ce qui transparaît aussi, c’est un sens fort de la communauté. Le choix de réenregistrer des morceaux pour les fans de longue date ressemble à une offrande, presque sacrée. Et avec une production volontairement minimale, "Gravity Sessions" fait un pari rare : celui de faire confiance à la matière brute, au moment présent. Pas d’artifices, pas de tricherie : trois musiciens dans une pièce, dialoguant dans le langage ancestral du son. Pour celles et ceux lassés de la production aseptisée ou des playlists uniformisées, Rosetta West offre un antidote puissant. Leur musique ne suit pas les tendances : elle se découvre. Elle se mérite.
Rosetta West n’a jamais couru après l’industrie. "Gravity Sessions" en est la preuve : un hommage à leur parcours, un instantané de leur présent, une nouvelle pierre ajoutée à leur mythe. Ce n’est peut-être pas leur œuvre la plus ambitieuse sur le plan sonore, mais c’est peut-être leur plus honnête. Sa force réside dans son immédiateté, ses imperfections, et surtout dans l’amour profond qu’il incarne pour la musique. À l’heure où tout va vite, où tout est jetable, Rosetta West nous rappelle la puissance du moment partagé, de la vibration commune. C’est une œuvre qui vous demande de vous asseoir, de respirer, et d’écouter — non pas avec les oreilles seulement, mais avec le ventre, le cœur, et l’âme.
Ècrit par Ryann
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