"KANDA" Par GHEZO †††
- Ryann
- 27 juin
- 3 min de lecture

Dès la première seconde de "KANDA," GHEZO ††† affirme une intention claire : il ne s’agit pas ici de musique pop grimée en “musique du monde”, mais d’un hommage sincère, né de la terre même des traditions vocales africaines. "KANDA" ne commence pas par une ligne de basse ou des nappes synthétiques, mais par de véritables échantillons vocaux africains – traditionnels, texturés, authentiques – posés comme éléments fondateurs. Ce choix atypique transforme l’EP en bien plus qu’un simple recueil de morceaux : il devient un archive vivante, une excavation respectueuse de voix ancestrales souvent reléguées au second plan dans la musique contemporaine. GHEZO †††, par ce processus, rend hommage avec une ferveur palpable : laisser ces voix guider la musique, plutôt que les ajouter en ornement, confère à "KANDA" un esprit curatorial, spirituel et profondément humain.
Le morceau phare, « Casablanca », cristallise cette démarche. Il s’ouvre sur une voix venue des traditions subsahariennes, douce et grave, qui chante le nom de la ville marocaine avec une tendresse presque hypnotique. La voix est peu modifiée, simplement rehaussée d’une légère réverbération, conservant son grain, son accent et sa chaleur. La production électronique est discrète — une basse sourde, une percussion parcimonieuse, des nappes lumineuses — et ne cherche jamais à dominer. Elle entoure la voix, lui laisse toute sa place. Ce n’est pas un simple décor sonore, mais un écrin respectueux. L’interprète n’est pas un échantillon ; il devient le narrateur, le guide émotionnel de l’œuvre. GHEZO ††† construit ici un pont affectif et culturel entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne, dans une démarche bien éloignée de tout cliché.
L’ensemble de l’EP poursuit dans cette veine, avec subtilité et exigence. GHEZO ††† ne fusionne pas les genres de façon tape-à-l’œil. Il ne s’agit pas d’ajouter des percussions africaines à un morceau électronique. Ici, l’approche est harmonique : la musique est construite à partir d’une écoute attentive, d’un respect des sources. On y trouve des rythmes inspirés des polyrythmies ouest-africaines, des enregistrements d’ambiance — bruits de marché, murmures, vent — et des textures électroniques organiques, jamais synthétiques ni froides. À chaque instant, les voix conservent leur présence humaine. Elles respirent, vibrent, oscillent entre chant et incantation. Elles rappellent à l’auditeur que cette musique n’est pas une fiction de studio, mais une mémoire partagée.
Ce qui distingue "KANDA," c’est aussi son architecture émotionnelle. GHEZO ††† fait preuve d’une retenue remarquable. Il n’y a pas de montée épique, ni de drops tapageurs. La musique évolue lentement, par petites touches, laissant le silence jouer un rôle central. Une pause devient un souffle, un battement différé un instant de tension. GHEZO ††† comprend que l’espace peut être plus expressif qu’un excès de sons. Cela confère aux morceaux une dimension méditative. L’écoute devient une immersion. Là où tant d’albums cherchent à capter l’attention par la force, "KANDA" invite à l’introspection, à une écoute attentive, presque rituelle.
Le choix de ne pas “expliquer” est aussi un geste fort. Aucune note ne précise de quel pays vient un chant, dans quelle langue il est prononcé. Aucun discours manifeste n’accompagne l’œuvre. La musique parle d’elle-même. C’est un geste décolonial, discret mais puissant : ne pas traduire, ne pas réduire, ne pas exotiser. Juste écouter. Ces voix ont une histoire, une dignité. GHEZO ††† ne se pose pas en interprète, mais en passeur. En refusant de tout nommer ou de surcontextualiser, il rend hommage à l’autonomie de ces voix, les laissant vivre hors du regard occidental.
"KANDA" est un acte artistique rare dans notre époque de consommation rapide. Il ne cherche ni l’instantané, ni la viralité. Il exige du temps, de l’attention, et en retour, offre une richesse sonore et culturelle sans commune mesure. C’est un album de passage, de mémoire et de respect. Chaque piste est un couloir de résonances, un miroir de la pluralité africaine. Pour les amateurs de musique électronique expérimentale, de narration sonore, ou simplement de beauté sincère, "KANDA" est une œuvre incontournable. Avec cet EP, GHEZO ††† s’impose comme un créateur unique : à la fois archéologue du son, conteur moderne et artisan du lien culturel.
Ècrit par Ryann
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