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"ONE MINUTE IN AMERICA" Par Bastien Pons

  • Ryann
  • 1 oct.
  • 3 min de lecture

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Il existe des morceaux qui ressemblent moins à des chansons qu’à des environnements sonores — des lieux où entrer, des pièces à habiter. "One Minute of America," une pièce marquante du premier album de Bastien Pons, "Blinded," appartient à cette catégorie rare. Construite à partir d’un enregistrement trouvé — soixante secondes de vie urbaine captées quelque part aux États-Unis —, elle transforme le plus ordinaire des sons en une expérience intemporelle. Le morceau débute discrètement, presque imperceptible, comme un souvenir dont on surprendrait l’écho par hasard. Puis apparaît un battement lent, un kick drum sombre et légèrement décalé qui soutient la pièce sans jamais l’entraîner de force. Calme, mesuré, légèrement désaxé… il dégage une sérénité étrange qui attire l’oreille au lieu de la repousser.


Le génie de "One Minute of America" réside dans sa capacité à dilater le temps. Ce qui, dans la réalité, ne dure qu’un instant anodin — une minute d’existence urbaine anonyme — devient, une fois transformé en musique, une rêverie étendue. Pons traite ce fragment du réel comme une matière brute, façonnée avec la sensibilité d’un sculpteur plus que celle d’un compositeur traditionnel. Au fil des transformations sonores, les textures se déplacent et se superposent autour de l’enregistrement initial, faisant glisser la pièce de la simple documentation vers la métamorphose. On n’écoute plus un “bruit de rue”, mais un souvenir élargi, étrange, évocateur. L’absence volontaire de narration confirme cette intention : "One Minute of America" n’est pas une histoire, mais un espace, une humeur, un lent déploiement de perception.


Cette approche prend racine dans le parcours de Pons. Artiste sonore et photographe en noir et blanc, formé à la musique concrète auprès de Bernard Fort, il aborde aussi bien l’audible que le visuel comme matière, contraste et émotion. Ses compositions brouillent les frontières entre minimalisme ambient, bruit industriel, enregistrements de terrain et abstraction sonore. Comme ses photographies granuleuses, sa musique met en avant la présence et l’absence, le silence et l’intrusion, la fragilité et la distorsion. "One Minute of America" condense parfaitement cette philosophie : elle n’est pas “composée” au sens classique du terme, mais construite, comme une photographie révélée lentement dans un laboratoire obscur.


Les influences de PonsArt Zoyd, Lustmord, Coil, SPK, Swans, The Residents, Murcof, 2kilos&more — traversent ce morceau sans jamais l’alourdir. Il en retient l’esprit d’expérimentation et de transgression des frontières pour inventer un langage sonore personnel, granuleux et sensible. Le résultat est tactile, fragile, cinématographique. "One Minute of America" ne s’impose pas comme une musique à consommer, mais comme un espace à habiter. Écoutée attentivement, elle révèle ses infimes variations de densité et de ton ; entendue plus distraitement, elle se fond dans l’atmosphère, comme un élément architectural du lieu. Dans les deux cas, elle refuse d’être simple fond sonore ou spectacle : elle existe comme une architecture sonore dans laquelle on peut se perdre.



Dans l’album "Blinded," composé de sept pièces, "One Minute of America" occupe une place clé. Tout l’album explore la perception, la mémoire et le poids émotionnel du silence à travers des enregistrements de terrain, des drones, des textures traitées, des traces vocales distordues et une lente décomposition ambient. Comme ses photographies, l’album se développe lentement, comme des images qui apparaissent dans un bain révélateur. Aucun des morceaux n’est une “chanson” au sens classique ; ce sont des environnements sonores où le silence est aussi important que le bruit. Dans ce cadre, "One Minute of America" devient une méditation sur le temps lui-même : un fragment fugitif de réalité urbaine, dilaté en un paysage où mémoire et imagination se confondent.


Ce qui rend "One Minute of America" si remarquable, c’est sa capacité à transformer la banalité en profondeur. Elle saisit un instant insignifiant de la vie quotidienne et le réinterprète comme une œuvre d’art, suggérant que le monde est plein de musiques cachées, attendant d’être révélées. En ralentissant le temps, en brouillant la perception et en effaçant les frontières entre réel et abstraction, Pons ne crée pas simplement une musique, mais une expérience. Il rappelle ainsi son affirmation artistique centrale : le son n’est pas une décoration, mais une matière ; le silence n’est pas un vide, mais une présence. Pour l’auditeur prêt à se laisser emporter, "One Minute of America" n’offre ni réconfort ni résolution, mais une invitation puissante à percevoir la beauté dans ce que, trop souvent, nous ignorons.



Écrit par Ryann

 
 
 

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