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"RUNNING ON EMPTY" Par Ava Valanti

  • Ryann
  • 1 nov.
  • 6 min de lecture
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Il existe une forme de chagrin qui ne se manifeste ni dans le bruit ni dans les éclats — il s’installe doucement, imperceptiblement, jusqu’au moment où l’on réalise que tout a changé. “Running on Empty”, morceau central de l’EP "petunias" d’Ava Valianti, capte cette douleur subtile avec une justesse étonnante pour une artiste de son âge. C’est une chanson sur l’absence — sur ces départs qui ne surviennent pas d’un seul coup, mais par petites érosions successives, jusqu’à ce qu’un jour, il ne reste plus qu’un souvenir. Et dans cet espace fragile, entre ce qui fut et ce qui n’est plus, Ava construit quelque chose de profondément émouvant : un portrait de la perte à la fois délicat et intensément humain.

À seulement seize ans, cette auteure-compositrice-interprète originaire du Massachusetts écrit avec une lucidité que beaucoup d’artistes ne trouvent qu’après de longues années.


“Running on Empty” est née, raconte-t-elle, dans une chambre d’hôtel à New York, en pleine nuit, après ses deux premiers concerts consécutifs. L’épuisement — physique, émotionnel, existentiel — traverse chaque note. On sent dans les premières mesures la solitude de cette nuit-là : un synthé discret qui vibre au loin comme une lumière de rue derrière une fenêtre. Puis sa voix apparaît — nue, presque chuchotée — et le monde se rétrécit à un seul point d’émotion. La production ne s’élève pas, elle respire ; elle s’étend en ondes calmes de percussions retenues et de guitares baignées de réverbération. Rien n’est précipité. L’espace sonore est mesuré, chaque son semble choisi non pour combler le silence, mais pour l’honorer.


L’architecture émotionnelle du morceau reflète son sujet. “Running on Empty” commence petit — une simple prise de conscience — et s’élargit lentement jusqu’à devenir panoramique. Ce n’est pas une chanson de rupture spectaculaire ; c’est une étude de l’érosion, de l’effritement progressif du lien. Le refrain, fragile et perçant, ressemble à une confession adressée à personne : « Je continue de conduire sans phares, en espérant que tu me voies encore dans le noir ». Une image d’une simplicité désarmante, mais d’une puissance rare : ce désir de rester visible, même dans la disparition. C’est le genre de ligne qui semble évidente une fois écrite, mais que peu auraient osé formuler avec autant de douceur.


“Running on Empty” se situe à la croisée de la pop indie et de l’écriture confessionnelle moderne — imaginez la sincérité de Phoebe Bridgers, la tension feutrée de Billie Eilish, la clarté mélodique de Holly Humberstone, filtrées par la lumière propre à Ava. La production est artisanale, pleine d’air et de chaleur, laissant la voix au centre de gravité. Là où d’autres chansons explosent dans le refrain, celle-ci se replie sur elle-même : l’énergie se transforme en intimité plutôt qu’en spectacle. Chaque couplet est une pensée nocturne murmurée dans le vide ; chaque refrain, un instant de lucidité sans apaisement. C’est la retenue, et non la libération, qui lui donne sa force.


Ce qui frappe, c’est le contraste émotionnel : les mélodies sont douces, presque apaisantes, mais les paroles trahissent une blessure ouverte. Cette dualité définit l’univers de Valianti : un équilibre entre mélancolie et lumière. Sa voix porte une vulnérabilité tremblante — non pas une fragilité, mais une honnêteté. Elle ne surjoue jamais ; elle laisse parler les fissures. À une époque où la perfection vocale prime souvent sur la sincérité, Ava choisit l’authenticité. Son phrasé épouse le rythme d’un journal intime, le souffle d’une pensée sincère. On croit entendre les pages se tourner pendant qu’elle chante.


Sur le plan thématique, “Running on Empty” se trouve au cœur de "petunias," un EP bâti autour de la beauté cachée dans les choses ordinaires. Tout comme la fleur dont il tire son nom — modeste, commune, mais éclatante lorsqu’on la regarde vraiment — la chanson transforme la fatigue émotionnelle en lumière. Pas de grands gestes ici, mais de petites vérités murmurées : le chagrin qui ne hurle pas, mais soupire ; la perte qui, au lieu de détruire, apprend à avancer. En cela, la chanson dépasse le récit adolescent pour devenir une méditation sur ce qui reste quand le lien se défait, sur la manière dont nous habitons le vide, et sur la beauté que peut contenir ce vide lorsqu’on l’écoute vraiment.

La double nature d’Ava — interprète et autrice — donne à la chanson son équilibre unique.



D’un côté, elle est viscérale : écrite seule, à chaud, au milieu de la nuit. De l’autre, elle est finement construite, consciente de son espace et de son souffle. La production, sans jamais surcharger, sculpte une ambiance fragile : une grosse caisse qui pulse comme un cœur fatigué, des échos lointains, des harmonies qui s’empilent avec légèreté. Même dans ses moments les plus amples, le morceau semble prêt à se briser ; cette tension est sa signature. “Running on Empty” ne cherche pas à séduire, elle attire doucement, presque à voix basse, jusqu’à ce qu’on réalise à quel point elle nous enveloppe. À l’échelle de "petunias," “Running on Empty” agit comme le pivot émotionnel de l’ensemble. Là où d’autres titres racontent les élans de l’adolescence — l’insouciance, la confusion, la découverte de soi — celui-ci marque une pause. Il regarde les ruines avec lucidité. C’est une chanson d’après : après le départ, après le bruit, quand il ne reste que la respiration. Pourtant, elle n’est pas désespérée. La lumière persiste, timide mais réelle. Cette résilience silencieuse, fil rouge de tout l’EP, trouve ici sa forme la plus pure. Même lorsqu’elle chante le vide, Ava le remplit par le simple fait de le nommer. Écrire devient une manière de guérir.


Le titre lui-même condense cette tension : “Running on Empty”, littéralement « avancer sur la réserve ». C’est le paradoxe de grandir : continuer d’avancer, même quand on n’a plus de carburant. Le mouvement comme survie. Ava n’explique pas, elle observe. Son écriture évite les clichés pour privilégier la justesse émotionnelle. Lorsqu’elle parle de distance — qu’elle soit physique ou affective — on sent qu’elle la connaît intimement. C’est cette précision qui rend ses mots universels. Elle ne chante pas en tant qu’adolescente, mais en tant qu’être humain en transition, confronté à la perte et à la reconstruction.


Sur le plan vocal, Ava excelle dans l’équilibre entre retenue et abandon. Sa voix flotte entre souffle et mélodie, créant une proximité presque tactile. Vers la fin, un léger tremblement la traverse — non spectaculaire, mais bouleversant. Elle ne cherche pas le climax, elle laisse l’émotion se délier d’elle-même. Peu d’artistes de son âge comprennent à ce point que le silence peut être plus puissant que le volume. Cette conscience donne au morceau une maturité rare. Ce n’est pas ce qu’elle chante qui bouleverse, mais l’espace qu’elle laisse autour des mots — cet espace que l’auditeur peut habiter.


Textuellement, la chanson fonctionne comme une lettre jamais envoyée. Elle s’adresse à quelqu’un de précis, mais parle à tout le monde. Des images reviennent, brumeuses : une silhouette dans l’encadrement d’une porte, des phares qui s’éteignent, une route vide. C’est du cinéma intime, du réalisme poétique. Ava ne dramatise pas ses émotions ; elle les documente. C’est cette franchise — cette volonté de regarder sans détour — qui donne à “Running on Empty” sa gravité émotionnelle. Ce qui impressionne surtout, c’est la tolérance à l’imperfection. La chanson ne cherche pas à refermer la blessure ; elle la laisse respirer. La dernière note suspendue, sans résolution, semble dire : l’histoire continue ailleurs. Et c’est justement cette ouverture qui rend le morceau si humain. Tout ne se clôt pas, tout ne s’explique pas — et c’est très bien ainsi. Ava transforme le manque en miroir : chacun y voit sa propre histoire. Son esthétique sonore, enfin, place Ava parmi les voix montantes de la scène indie-pop.



“Running on Empty” est à la fois minimaliste et cinématique, intime et spacieux. On pense à Gracie Abrams, à Lizzy McAlpine, mais avec quelque chose de plus brut, de plus enraciné : une sincérité du Nord-Est, une mélancolie claire. C’est une chanson faite pour les trajets de nuit, pour les chambres silencieuses, pour les moments où l’on pense plus qu’on ne parle. En cela, elle incarne parfaitement l’esprit de "petunias" : découvrir le sublime dans l’ordinaire, la lumière dans la fatigue. Lorsque la chanson s’achève — non pas par une fin, mais par une dissolution —, il reste une impression suspendue, comme un souffle retenu. Les derniers accords planent, inachevés, et laissent le cœur en apesanteur. C’est une conclusion discrète mais juste : “Running on Empty” n’est pas une chanson sur la fin, mais sur ce qui se passe entre deux fins. Sur la façon d’avancer malgré tout, de croire encore à la lumière, même lorsqu’elle s’éloigne.


Avec "petunias," Ava Valianti signe un premier disque qui ressemble à un film d’apprentissage vu de l’intérieur — intime, sincère, profondément conscient de la beauté des détails. Mais “Running on Empty” en est le cœur battant : une chanson qui comprend comment la perte façonne la croissance, comment le silence devient chanson, et comment, même dans l’épuisement, il reste de la grâce. Ce n’est pas seulement la voix d’une jeune artiste en devenir ; c’est déjà celle d’une créatrice qui sait où elle va.

“Running on Empty” ne cherche pas à être entendue ; elle se fait entendre. Et quand elle s’éteint, elle laisse derrière elle non pas un vide, mais une clarté — celle qui éclaire doucement les routes que l’on emprunte seul, phares éteints, mais cœur ouvert.



Écrit par Ryann

 
 
 

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