"EXTINCTION BURST" Par Matare
- Ryann
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Dans le paysage musical saturé de 2025, où les groupes de revival post-punk continuent de puiser abondamment dans l’héritage de The Cure, Interpol et Joy Division, et où les artistes indie-pop courent après des hits formatés pour les algorithmes de streaming, "Extinction Burst" de Matare s’impose comme une déclaration d’intention audacieuse. Sorti le 2 septembre 2025, l’album se situe à la croisée du post-punk, de la new wave et du rock alternatif, mais au lieu de simplement imiter ses influences, il les synthétise en quelque chose de profondément personnel, émotionnellement brut et soniquement vaste. À travers ses douze morceaux, Matare construit un disque qui repose autant sur l’atmosphère que sur la narration, tissant des récits d’amour, de perte, de désillusion et de renouveau. Le résultat est une œuvre à la fois intime et monumentale, qui affiche fièrement ses inspirations — l’ampleur des guitares de "The Chameleons," la noirceur électronique de Depeche Mode, la mélancolie dansante de New Order — mais qui finit par les transcender pour devenir une déclaration artistique distincte.
Le titre d’ouverture, "Attach Your Memories," pose immédiatement le ton de la portée émotionnelle et sonore de l’album. Avec des textures de guitare scintillantes qui rappellent Robin Guthrie des Cocteau Twins filtrées à travers la précision de Bernard Sumner, la chanson repose sur une ligne de basse pulsante à la fois ancrée et agitée. Les paroles explorent la fragilité du souvenir et le désir de retenir des instants fugitifs, un thème qui revient à plusieurs reprises dans l’album. Ce qui frappe ici, c’est l’interprétation vocale de Matare — retenue mais chargée d’émotion, oscillant entre vulnérabilité et détachement. La production laisse de l’espace au silence et à l’écho, offrant à l’auditeur une respiration dans l’atmosphère du morceau. Cet univers devient plus sombre avec le deuxième titre, "I Could Kill You But I Love You," dont le titre provocateur dissimule une tendresse sous-jacente. Avec ses guitares incisives, sa section rythmique entraînante et ses accents synthétiques, il sonne comme un morceau oublié de l’ère Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me de The Cure, mais réinventé à travers une production contemporaine. Le morceau explore la dualité entre amour et violence, intimité et destruction, sans jamais sombrer dans le mélodrame. À la fois confessionnel et frontal, il possède une tension qui lui donne une force durable.
Au milieu de l’album, des titres comme "Never-Ending" et "Learned Helplessness" révèlent la profondeur psychologique et thématique du disque. "Never-Ending" s’inscrit clairement dans l’héritage de New Order, avec un rythme entraînant et presque dansant qui soutient des paroles sur les cycles de futilité et de récurrence. L’ironie d’un morceau sur l’éternelle répétition qui se révèle si addictif n’échappe pas à l’auditeur : en réalité, elle renforce le propos, l’entraînant dans la spirale décrite par le morceau. "Learned Helplessness," en revanche, constitue l’un des moments les plus déchirants de l’album, transformant un concept psychologique en expérience vécue. Avec son arrangement dépouillé, ses boîtes à rythmes réverbérées et son chant murmuré et sombre, il rappelle Depeche Mode dans ses heures les plus désolées, notamment à l’époque de Black Celebration. Mais la chanson évite le pastiche grâce au prisme personnel de Matare : elle sonne moins comme une performance de désespoir que comme une entrée intime de journal, inconfortablement honnête mais cathartique. En ce sens, la section centrale de l’album fonctionne comme son cœur émotionnel, mettant à nu les luttes et les vulnérabilités qui animent l’ensemble du projet.
L’énergie change à nouveau avec "That’s What People Do" et "The Further That They Go," deux morceaux qui explorent autant la critique sociale que la désillusion personnelle. Le premier propose un commentaire acerbe sur le conformisme et les comportements humains, ses paroles oscillant entre amertume et humour résigné. Musicalement, il est anguleux et propulsif, empruntant aux rythmes funk-punk tranchants de Gang of Four tout en les intégrant dans un décor plus atmosphérique. "The Further That They Go", en revanche, est ample et cinématographique, avec des guitares carillonnantes, des synthés superposés et une lente montée qui finit par exploser en un mur de son. C’est l’un des hommages les plus évidents à "The Chameleons" sur l’album, évoquant leur capacité à rendre la mélancolie hymnique. Si "Extinction Burst" a une thèse sur la résilience à travers la désintégration, on la retrouve ici : plus les gens s’éloignent, plus ils se rapprochent d’un point de rupture où la transformation devient inévitable. Ces morceaux illustrent la force de l’album à équilibrer l’introspection et la critique extérieure, refusant de se limiter à un seul registre.
La dernière partie du disque intensifie ses thèmes avant de s’effondrer dans la catharsis apocalyptique du morceau-titre. "Slicing Knives" est tranchant et implacable, ses guitares frôlant le post-hardcore dans leur agressivité, tandis que les paroles décrivent la douleur des mots comme des armes, laissant des cicatrices plus durables que des blessures physiques. Il est suivi par "Forever Light," un contrepoint étonnamment lumineux, où des synthés scintillants et un chant aérien suggèrent la possibilité d’une transcendance au-delà de la souffrance. Cette dualité — violence et lumière, douleur et espoir — parcourt tout le disque, et leur juxtaposition ici en accentue l’impact émotionnel. "Here’s Where Your Story Begins" se tourne à nouveau vers l’extérieur, s’adressant directement à l’auditeur, comme si Matare l’invitait à prolonger les thèmes de l’album dans sa propre vie.
"Do What You Can" et "Revolution" amplifient cet élan, le premier offrant un message pragmatique de résilience face aux limites, et le second explosant en un appel au changement collectif. Contrairement à tant de chansons portant le titre "Revolution," la version de Matare n’est ni naïve ni tonitruante ; elle reconnaît l’épuisement de la lutte constante mais insiste sur la nécessité de persévérer malgré tout. Lorsque le dernier morceau, "Extinction Burst," arrive, l’auditeur a traversé un véritable labyrinthe d’émotions et de paysages sonores. Ce final est épique à tous points de vue — stratifié, dynamique et dévastateur. Son titre fait référence à un phénomène psychologique où un comportement s’intensifie avant de s’éteindre, une métaphore des cycles humains, des relations et même des civilisations. Musicalement, il s’élève du minimalisme au chaos, rappelant la fin de The End des Doors dans son sentiment de fatalité, mais réinterprétant cette angoisse existentielle en quelque chose de transformateur. Ce n’est pas seulement une fin, mais le seuil de quelque chose de nouveau, même si ce n’est pas encore défini.
Ce qui rend "Extinction Burst" remarquable, ce n’est pas seulement la qualité de chacun de ses morceaux, mais la cohésion de l’ensemble. Il ne s’agit pas d’une simple collection de singles mais d’un voyage soigneusement séquencé, qui récompense l’écoute attentive du début à la fin. La production, équilibrant clarté et atmosphère, évite les écueils de la surcompression qui gangrènent une grande partie du rock contemporain. Chaque instrument trouve sa place, chaque silence semble intentionnel, et la dynamique monte et descend avec un sens presque narratif du rythme. Sur le plan thématique, l’album refuse de simplifier l’expérience humaine en résolutions faciles ; au contraire, il embrasse les contradictions — amour et haine, espoir et désespoir, conformisme et rébellion — et les laisse coexister. Ce faisant, Matare a créé un disque profondément humain, qui résonne à la fois intellectuellement et viscéralement. Pour les amateurs de post-punk et de new wave, il offre des textures familières réinventées à travers un prisme contemporain ; pour les nouveaux venus, il constitue une porte d’entrée émotionnellement riche dans une lignée musicale qui a toujours affronté la noirceur et la beauté de l’existence. À une époque où les albums semblent souvent jetables et où les attentions sont fragmentées, "Extinction Burst" s’impose comme une œuvre de profondeur, d’ambition et d’authenticité. C’est, sans exagération, l’une des sorties les plus marquantes de l’année.
Écrit par Ryann
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