“SET ME FREE” Par Jack Horton
- Ryann
- 4 mai
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À une époque où la perfection numérique et l’image soigneusement construite dominent l’art et la vie, Imperfections de Jack Horton s’impose comme une œuvre rafraîchissante de sincérité et d’humanité. Cet EP de cinq titres, dévoilé au fil des mois en 2024, est un triomphe de vulnérabilité et d’intelligence émotionnelle — porté par les racines classiques de Horton au piano, une écriture subtile et un vécu profondément ressenti. Après son projet en japonais "The Tokyo Sessions," Imperfections marque un tournant personnel : un retour à soi, à travers l’amour, la perte et la renaissance, transformés en musique d’une authenticité désarmante.
Le morceau d’ouverture, "Set Me Free," donne le ton émotionnel de l’ensemble. Ballade dépouillée portée par un piano délicat, la chanson explore le paradoxe de l’amour qui pousse à laisser partir l’autre. La voix de Horton est tendre et posée, laissant l’espace aux mots de respirer : « Je suis reconnaissant pour mon divorce », confie-t-il dans le communiqué — une phrase qui peut surprendre, jusqu’à ce qu’on entende la grâce dans son interprétation. Il n’y a ici ni amertume ni rancune, seulement une réflexion apaisée. L’arrangement monte en puissance avec subtilité, intégrant des cordes et des chœurs doux, traduisant l’élan de libération au cœur de la chanson. Un début fort, qui résume la mission de l’EP : trouver la beauté dans ce qui est brisé, et la vérité dans ce qui a été abandonné.
Le deuxième titre, "String Around My Finger," change de registre à la fois musicalement et émotionnellement. C’est un hymne pop-country au meilleur sens du terme — entraînant, mélodique, riche en narration. Horton évoque les fantômes des bars de Nashville et les rêves de compositeur avec des paroles qui citent Elton John, Johnny Cash et John Prine. Mais ce n’est pas un simple clin d’œil nostalgique : la chanson raconte un choix de vie, celui de préférer l’amour à la gloire, la joie intime au succès public. Avec son rythme enjoué et ses tournures de phrases pleines d’esprit, "String Around My Finger" offre un contrepoids lumineux aux morceaux plus introspectifs de l’EP. Elle révèle aussi l’étendue du talent de Horton, capable de passer de la confession au sourire complice avec une aisance remarquable.
L’un des moments les plus intrigants de l’EP est la reprise de Operator (That’s Not the Way It Feels) de Jim Croce. Reprendre un classique est toujours risqué, surtout une chanson aussi emblématique et poignante que celle-ci. Mais Horton évite l’écueil de l’imitation en proposant une lecture émotionnelle inédite. Plutôt que de conserver le ton narratif de Croce, il ralentit le tempo et accentue le chagrin latent, révélant la douleur entre les lignes. Sa version, dépouillée et mélancolique, frôle le cinéma. Les paroles, déjà chargées, prennent une dimension nouvelle : il ne s’agit plus d’un simple appel téléphonique, mais d’un deuil non résolu. Un hommage audacieux, profondément personnel, qui redonne vie à une œuvre ancienne.
"Never Know Why" est un autre point fort, tant sur le plan musical qu’émotionnel. Ce duo avec Vesper Stockwell — collaboratrice artistique et partenaire de Horton — brille par sa complicité vocale. Leurs voix s’enlacent avec une intimité naturelle, comme deux fragments d’un miroir brisé cherchant à se refléter. La structure du morceau rappelle une conversation, chaque couplet offrant un point de vue différent sur un amour inexplicable. Pas de cris, pas de conflits : seulement une tendresse résignée tissée dans la mélodie. L’arrangement est volontairement discret, pour mieux mettre en avant le dialogue vocal. On sent que cette histoire a été vécue. Ce morceau est l’un des plus nuancés émotionnellement de l’EP.
L’EP se clôt avec une nouvelle version de "Space and Time," initialement sortie en single en 2023. Là où la version originale explorait des textures ambiantes, cette nouvelle mouture recentre la chanson sur l’essentiel. C’est une conclusion méditative — des arpèges de piano délicats soutiennent un texte évoquant l’éloignement comme prétexte à une rupture douce. La voix de Horton y est particulièrement touchante ; une légère vibration trahit l’émotion contenue. En guise de final, c’est parfaitement cohérent : pas d’apothéose, mais la lente révélation que certains amours se fanent non pas dans le tumulte, mais dans le silence. "Space and Time" ne donne pas de réponses, seulement des questions — une signature de Horton, qui préfère l’authenticité du désordre à la facilité des fins heureuses.
Ce qui rend "Imperfections" véritablement captivant, c’est sa cohérence émotionnelle. Chaque chanson existe pleinement en soi, mais l’ensemble compose un arc narratif fait de douleur, de résilience et de transformation. Le parcours atypique de Horton — pianiste classique, ancien avocat, entrepreneur en tech — imprègne sa musique d’une maturité rare. Il ne cherche ni le hit radio ni la tendance : il offre une fenêtre sur son âme. La production, épurée et élégante, met l’écriture au premier plan. Et si l’EP est profondément personnel, il n’est jamais nombriliste. Horton a ce don de rendre son histoire intime universelle.
Avec "Imperfections," Jack Horton ne se contente pas d’aligner des chansons : il nous livre un journal musical de reconstruction. Il ne s’agit pas ici de triomphe ou de perfection, mais de présence sincère — malgré les cicatrices. En nous invitant à écouter ses fissures, il nous donne la permission d’aimer les nôtres. C’est un disque qui respire l’honnêteté émotionnelle, la finesse littéraire et le savoir-faire musical. Si vous avez connu la rupture ou simplement soif de vérité en musique, Imperfections vous rappellera que c’est dans les failles que la lumière entre.
Ècrit par Ryann
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